vendredi 22 décembre 2023

Comptes

 


En poésie il faut tout compter

Compter les vers

Compter les pieds

Compter les verres à pied




A chaque fois





Tu te plains parfois de moi

Alors je me coupe un peu les cheveux

A chaque fois 

Un peu plus

*

Mais...tenir ta tête entre mes mains

Soupeser le poids de ton âme

A chaque fois, je me sens honorée

**

Sous tes paupières

Le ciel

Sous les miennes

La terre

Te retrouver

A chaque fois 

***









Donneurs de leçons

 


Comme c'est facile de renvoyer l'autre à sa propre prise en charge. Comme c'est tentant, lorsqu'on éprouve aucune empathie pour cette personne, comme c'est tentant de le renvoyer à sa propre nécessité de se prendre en charge, de s'assumer.

Comme c'est humain de venir réclamer un peu d'attention quand tout semble s'écrouler autour de nous et en nous, lorsque nos frêles forteresses intérieures se fragilisent et se fissurent, comme nous avons besoin d'une oreille attentive et bienveillante, d'un sourire, d'une main posée tendrement sur notre épaule, d'un cœur ouvert.

Comme c'est violent de ne rien recevoir, de se heurter à une autre muraille, qui, quoique fissurée, elle aussi, se dresse soudain dans toute son impassible froideur.

Comme c'est troublant de réaliser à cet instant, lorsque nos doigts saignent d'avoir trop gratté la porte, comme c'est déroutant alors de réaliser que nous aussi nous avons, à un moment, avec une personne, ou tant d'autres, que nous aussi nous avons laissé l'autre gratter à la porte jusqu'à s'en faire saigner la peau.

Comme c'est affligeant de n'être que soi, que cette imperfection, que ce tissu de manque, comme c'est affligeant d'en prendre, une fois encore la mesure. 

Donneuse de leçons, je l'ai souvent été. Et nous le sommes tous, un jour ou l'autre, lorsque nous fermons nos portes à la douleur de l'autre. Lorsque nous préférons asséner une vérité crue alors que ce n'est pas le moment. Donneurs de leçons, tous pires l'un que l'autre, tous, à côté du coeur. Tous en fuite. 

Donneurs de rien. 



"Faiseurs de signes, rien de plus" Rainer Maria Rilke



mercredi 20 décembre 2023

Que savons-nous ?

 

Que savons-nous ?

Qui sommes-nous ? 

Savons-nous vraiment ce qui est écrit ? 

Savons-nous ce que nous allons devoir écrire à nouveau ?

Les vies s'écrivent et se créent, se font et se défont

La vie est écrite en nous

C'est elle qui nous ouvre et nous ferme les yeux.




dimanche 10 décembre 2023

Comme une gisante

 



Comme une gisante 

Je suis allongée prés de toi 

A l'aube de la nuit pleine d'images

Je ne t'entends plus respirer

N'ai-je pas vu des fleurs sortir de mon ventre ?


Inutiles sur le drap

Mes mains reposent

Il faudrait que je me relève

Pour saisir mon cri

L'empoigner d'un trait


Rapide éclair dans l'obscurité

La conscience  pourtant se tait

Remontant à la gorge les questions

Ecrire ? Peindre ?

Tout est si blanc.


Et le froid sous la couverture

Ne m'a pas encore atteinte





dimanche 3 décembre 2023

Un seul rêve




L'enveloppant de ses ailes 

Unique

Picorant son oreille sa joue son cou

De baisers doux

Mère enfant

Enfant mère

Ne faisant plus qu'un seul

Rêve 



*





vendredi 10 novembre 2023

Le peseur de mots



 Je voudrais vous parler de quelqu'un

Quelqu'un dont le regard perce l'âme

Dont chaque mot est soigneusement pesé

Il s'agit de quelqu'un dont personne ne soupçonne même l'existence

Chacun l'apercevant ne voit en lui qu'une ombre

 Qu'un soupçon d'homme

Celui dont j'ose vous parler aujourd'hui

Est pourtant tellement lumineux

Tellement beau

Et sa bonté ruisselle tout autant que sa

Lucidité

Intransigeante

Je pourrais parler de lui

Longtemps

mais à quoi bon ?

De lui même après une longue description

On n'aurait rien saisi

Il est la vie même 

Dans son exigence la plus pure

Oh bien sûr il se trompe souvent

Il a erré beaucoup

Il ne correspond à aucun idéal

Il est mon féal

Et sous le ciel il va.








vendredi 3 novembre 2023

Accepter

 



Accepter de perdre son visage

Ne plus entendre la musique de son rire

Etre perdu

Accepter.









vendredi 13 octobre 2023

Horizon

 


Dans l'horizon endeuillé

Les enfants ont la tête bandée

Les oiseaux ne savent plus où aller


*




jeudi 7 septembre 2023

Secrète





Si tu ne peux rien me dire c'est bien

Si je ne peux rien dire non plus c'est bien

Nous irons de cette façon là où toi tu veux aller

Je t'accompagnerai de loin si c'est ce qu'il te faut

Je peux tout accepter de toi

Que ce silence protège ton secret

Comme un tégument

Qu'il pousse tout sur son passage

Qu'il remue

Qu'il respire

Qu'il vive enfin





















vendredi 4 août 2023

Je m'en vais

 

Je suis allée chercher les mirabelles et les fruits murs sont tombés dans mes mains. La douceur des fruits dorés et odorants m'a ramenée vers toi, qui m'offrais aussi tes fruits dans leurs douces enveloppes. Et je les prenais. Ridicule érotisme des récoltes souvent vaines.

Ici les oiseaux sont passés avant moi, et ils ont troué de leurs becs avides et pressé les mirabelles les plus sucrées. Des gouttes ont cristallisé leurs sucs en bulles ambrées et collantes. Les fruits troués jetés au sol attendent de servir d'offrande aux fourmis. Et aux bêtes basses de la terre. 

Cette année, nous avons permis aux branches de descendre jusqu'au sol, Jaldara n'étant plus là pour son orgie de sucre alcoolisé par le soleil brûlant. Tout a poussé, et les petites filles feront leurs petites récoltes tardives. Je leur laisse les fruits encore trop verts qui seront à point pile pour leur venue.

Certaines prunes ont pourri de façon compacte et absurde. Abcès abject au centre de la vie. la mort ne choisit pas : elle prend ce qu'elle trouve. Parfois tout en bas des branches, les petites, isolées, parfois tout en haut, parmi les foules compactes promises à la confiture. La déconfiture des prunes me fait rêver.

Une punaise en camouflage fait la course avec mes mains. Elle me craint davantage que je ne la crains. Elle sent que deux de mes doigts en étau suffiraient à l'envoyer au paradis des insectes. Pour les animaux, il n'y a pas d'enfer. Ils ne font que ce qu'ils doivent, n'obéissant qu'à la puissance de leur instinct naturel, pas comme nous, qui nous imposons de faire des choix, pour en tirer les conséquences parfois délétères. 

Cours, punaise, je ne t'enlèverai pas la vie. Ton costume d'écorce si bien imité te protégera encore longtemps contre l'étrangère que je suis ici. Seuls les mots courent jusqu'à la feuille...de papier. Puis, les chiffres les remplacent...Un, deux, trois...Une, deux... Un, deux trois quatre cinq...Les mirabelles ont rempli mon panier. Je m'en vais.




jeudi 22 juin 2023

Ils flottaient sous moi et me regardaient



Mes yeux refusaient de s'ouvrir

Mon cerveau analysait la situation et ne comprenait pas

Où étais-je ? Dans quel méandre de la conscience !

Comme dans un couloir flottant

Je les ai vus en dessous de cette grille fragile sur laquelle je marchais

Ils me regardaient et semblaient en dehors de tout

J'ai crié son nom et mes paupières se sont ouvertes

Il faisait jour

Enfin






lundi 24 avril 2023

Nos deux corps sont en toi (poème de la reine Margot)

 

Nos deux corps sont en toi,
Je le sais plus que d'ombre.
Nos amis sont à toi,
Je ne sais que de nombre.

Et puisque tu es tout
Et que je ne suis rien,
Je n'ai rien ne t'ayant
Ou j'ai tout, au contraire,

Avoir et tout et tien,
Comment se peut-il faire ?...
C'est que j'ai tous les maux
Et je n'ai point de biens.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Le soleil de mes yeux,
Si je n'ai ta lumière,
Une aveugle nuée
Ennuie ma paupière.

Comme une pluie de pleurs
Découle de mes yeux,
Les éclairs de l'amour,
Les éclats de la foudre

Entrefendent mes nuits
Et m'écrasent en poudre.
Quand j'entonne les cris,
Lors, j'étonne les cieux.

Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.

Nous n'aurons qu'une vie
Et n'aurons qu'un trépas.
Je ne veux pas ta mort,
Je désire la mienne.

Mais ma mort est ta mort
Et ma vie est la tienne.
Ainsi, je veux mourir
Et je ne le veux pas.

Marguerite de Valois

vendredi 7 avril 2023

A l'envers de moi




je crois toujours qu'elle est partie

je crois toujours qu'elle a trouvé ce qu'elle cherchait

ce dont elle avait si cruellement besoin

je croyais qu'elle avait rempli les vides

bouché les anfractuosités 

mais non je l'ai sentie encore tout à l'heure

au plus profond de mon ombre

elle est toujours là celle qui attend

à l'envers de moi




mercredi 5 avril 2023

Même les falaises

 




Puissions nous ne pas arrêter le sable qui s'écoule

Puissions nous ne pas fatiguer les nuages

Faire en sorte que les bourdons ne s'arrêtent pas de vrombir

Que les boutons deviennent des fleurs

Puis des fruits

Puisque 

Même les arbres finissent pas mourir

Puisque même les falaises s'écroulent

Et que

Les petites filles aussi

N'ouvrent parfois jamais les yeux

Puissions nous offrir nos vies à la vie

Nos chiennes à la mort

Et dégringoler le plus doucement 

Possible





mardi 17 janvier 2023

Les eaux de mère



Le ciel ne crie pas

L'eau ne crie pas

Alors je ne crie pas

Suivant leur exemple

Je pleure les eaux de mère

Il faut vingt ans à une stalactite pour prendre un centimètre

Combien de larmes ça fait ?







samedi 7 janvier 2023

Zou-Wen

 


Cette nuit notre petite Zou-Wen nous a quittés.

Vivre était trop dur alors elle a lâché l'affaire.

*Elle ne t'en veut pas, mais ta maman est bien triste ce soir

Et tous les soirs

sans toi




* Ces mots-là je les ai déjà écrits, en 1985. Ils me sont revenus. J'aurais tant souhaité ne plus jamais les écrire. 





mercredi 4 janvier 2023

Ces choses sans importance

 

Sur une étagère de la bibliothèque, une ou deux plumes.

Elle a quatre ans, elle en ramasse puis me les donne.

"Tiens"

Comme des fleurs, des pâquerettes de préférence.

Les pâquerettes je les mets dans des petits verres à liqueur

Et je les regarde respectueusement se dissoudre 

Dans l'eau des jours.

Quelqu'un m'a dit "ce sont des choses sans importance,

Tu peux les jeter sans regret"

Oui je pourrais, c'est vrai.

Mais je ne le fais pas.

J'ai une collection d'instants, de sourires,

De choses sans importance.

Des petites vies,

des petites morts.



Pour Manouchka R.