En poésie il faut tout compter
Compter les vers
Compter les pieds
Compter les verres à pied
Tu te plains parfois de moi
Alors je me coupe un peu les cheveux
A chaque fois
Un peu plus
*
Mais...tenir ta tête entre mes mains
Soupeser le poids de ton âme
A chaque fois, je me sens honorée
**
Sous tes paupières
Le ciel
Sous les miennes
La terre
Te retrouver
A chaque fois
***
Comme c'est facile de renvoyer l'autre à sa propre prise en charge. Comme c'est tentant, lorsqu'on éprouve aucune empathie pour cette personne, comme c'est tentant de le renvoyer à sa propre nécessité de se prendre en charge, de s'assumer.
Comme c'est humain de venir réclamer un peu d'attention quand tout semble s'écrouler autour de nous et en nous, lorsque nos frêles forteresses intérieures se fragilisent et se fissurent, comme nous avons besoin d'une oreille attentive et bienveillante, d'un sourire, d'une main posée tendrement sur notre épaule, d'un cœur ouvert.
Comme c'est violent de ne rien recevoir, de se heurter à une autre muraille, qui, quoique fissurée, elle aussi, se dresse soudain dans toute son impassible froideur.
Comme c'est troublant de réaliser à cet instant, lorsque nos doigts saignent d'avoir trop gratté la porte, comme c'est déroutant alors de réaliser que nous aussi nous avons, à un moment, avec une personne, ou tant d'autres, que nous aussi nous avons laissé l'autre gratter à la porte jusqu'à s'en faire saigner la peau.
Comme c'est affligeant de n'être que soi, que cette imperfection, que ce tissu de manque, comme c'est affligeant d'en prendre, une fois encore la mesure.
Donneuse de leçons, je l'ai souvent été. Et nous le sommes tous, un jour ou l'autre, lorsque nous fermons nos portes à la douleur de l'autre. Lorsque nous préférons asséner une vérité crue alors que ce n'est pas le moment. Donneurs de leçons, tous pires l'un que l'autre, tous, à côté du coeur. Tous en fuite.
Donneurs de rien.
"Faiseurs de signes, rien de plus" Rainer Maria Rilke
Que savons-nous ?
Qui sommes-nous ?
Savons-nous vraiment ce qui est écrit ?
Savons-nous ce que nous allons devoir écrire à nouveau ?
Les vies s'écrivent et se créent, se font et se défont
La vie est écrite en nous
C'est elle qui nous ouvre et nous ferme les yeux.
Comme une gisante
Je suis allongée prés de toi
A l'aube de la nuit pleine d'images
Je ne t'entends plus respirer
N'ai-je pas vu des fleurs sortir de mon ventre ?
Inutiles sur le drap
Mes mains reposent
Il faudrait que je me relève
Pour saisir mon cri
L'empoigner d'un trait
Rapide éclair dans l'obscurité
La conscience pourtant se tait
Remontant à la gorge les questions
Ecrire ? Peindre ?
Tout est si blanc.
Et le froid sous la couverture
Ne m'a pas encore atteinte
L'enveloppant de ses ailes
Unique
Picorant son oreille sa joue son cou
De baisers doux
Mère enfant
Enfant mère
Ne faisant plus qu'un seul
Rêve
*
Je voudrais vous parler de quelqu'un
Quelqu'un dont le regard perce l'âme
Dont chaque mot est soigneusement pesé
Il s'agit de quelqu'un dont personne ne soupçonne même l'existence
Chacun l'apercevant ne voit en lui qu'une ombre
Qu'un soupçon d'homme
Celui dont j'ose vous parler aujourd'hui
Est pourtant tellement lumineux
Tellement beau
Et sa bonté ruisselle tout autant que sa
Lucidité
Intransigeante
Je pourrais parler de lui
Longtemps
mais à quoi bon ?
De lui même après une longue description
On n'aurait rien saisi
Il est la vie même
Dans son exigence la plus pure
Oh bien sûr il se trompe souvent
Il a erré beaucoup
Il ne correspond à aucun idéal
Il est mon féal
Et sous le ciel il va.
Si tu ne peux rien me dire c'est bien
Si je ne peux rien dire non plus c'est bien
Nous irons de cette façon là où toi tu veux aller
Je t'accompagnerai de loin si c'est ce qu'il te faut
Je peux tout accepter de toi
Que ce silence protège ton secret
Comme un tégument
Qu'il pousse tout sur son passage
Qu'il remue
Qu'il respire
Qu'il vive enfin
Je suis allée chercher les mirabelles et les fruits murs sont tombés dans mes mains. La douceur des fruits dorés et odorants m'a ramenée vers toi, qui m'offrais aussi tes fruits dans leurs douces enveloppes. Et je les prenais. Ridicule érotisme des récoltes souvent vaines.
Ici les oiseaux sont passés avant moi, et ils ont troué de leurs becs avides et pressé les mirabelles les plus sucrées. Des gouttes ont cristallisé leurs sucs en bulles ambrées et collantes. Les fruits troués jetés au sol attendent de servir d'offrande aux fourmis. Et aux bêtes basses de la terre.
Cette année, nous avons permis aux branches de descendre jusqu'au sol, Jaldara n'étant plus là pour son orgie de sucre alcoolisé par le soleil brûlant. Tout a poussé, et les petites filles feront leurs petites récoltes tardives. Je leur laisse les fruits encore trop verts qui seront à point pile pour leur venue.
Certaines prunes ont pourri de façon compacte et absurde. Abcès abject au centre de la vie. la mort ne choisit pas : elle prend ce qu'elle trouve. Parfois tout en bas des branches, les petites, isolées, parfois tout en haut, parmi les foules compactes promises à la confiture. La déconfiture des prunes me fait rêver.
Une punaise en camouflage fait la course avec mes mains. Elle me craint davantage que je ne la crains. Elle sent que deux de mes doigts en étau suffiraient à l'envoyer au paradis des insectes. Pour les animaux, il n'y a pas d'enfer. Ils ne font que ce qu'ils doivent, n'obéissant qu'à la puissance de leur instinct naturel, pas comme nous, qui nous imposons de faire des choix, pour en tirer les conséquences parfois délétères.
Cours, punaise, je ne t'enlèverai pas la vie. Ton costume d'écorce si bien imité te protégera encore longtemps contre l'étrangère que je suis ici. Seuls les mots courent jusqu'à la feuille...de papier. Puis, les chiffres les remplacent...Un, deux, trois...Une, deux... Un, deux trois quatre cinq...Les mirabelles ont rempli mon panier. Je m'en vais.
Mes yeux refusaient de s'ouvrir
Mon cerveau analysait la situation et ne comprenait pas
Où étais-je ? Dans quel méandre de la conscience !
Comme dans un couloir flottant
Je les ai vus en dessous de cette grille fragile sur laquelle je marchais
Ils me regardaient et semblaient en dehors de tout
J'ai crié son nom et mes paupières se sont ouvertes
Il faisait jour
Enfin
Nos deux corps sont en toi,
Je le sais plus que d'ombre.
Nos amis sont à toi,
Je ne sais que de nombre.
Et puisque tu es tout
Et que je ne suis rien,
Je n'ai rien ne t'ayant
Ou j'ai tout, au contraire,
Avoir et tout et tien,
Comment se peut-il faire ?...
C'est que j'ai tous les maux
Et je n'ai point de biens.
Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.
Le soleil de mes yeux,
Si je n'ai ta lumière,
Une aveugle nuée
Ennuie ma paupière.
Comme une pluie de pleurs
Découle de mes yeux,
Les éclairs de l'amour,
Les éclats de la foudre
Entrefendent mes nuits
Et m'écrasent en poudre.
Quand j'entonne les cris,
Lors, j'étonne les cieux.
Je vis par et pour toi
Ainsi que pour moi-même.
Tu vis par et pour moi
Ainsi que pour toi-même.
Nous n'aurons qu'une vie
Et n'aurons qu'un trépas.
Je ne veux pas ta mort,
Je désire la mienne.
Mais ma mort est ta mort
Et ma vie est la tienne.
Ainsi, je veux mourir
Et je ne le veux pas.
Marguerite de Valois
je crois toujours qu'elle est partie
je crois toujours qu'elle a trouvé ce qu'elle cherchait
ce dont elle avait si cruellement besoin
je croyais qu'elle avait rempli les vides
bouché les anfractuosités
mais non je l'ai sentie encore tout à l'heure
au plus profond de mon ombre
elle est toujours là celle qui attend
à l'envers de moi
Puissions nous ne pas arrêter le sable qui s'écoule
Puissions nous ne pas fatiguer les nuages
Faire en sorte que les bourdons ne s'arrêtent pas de vrombir
Que les boutons deviennent des fleurs
Puis des fruits
Puisque
Même les arbres finissent pas mourir
Puisque même les falaises s'écroulent
Et que
Les petites filles aussi
N'ouvrent parfois jamais les yeux
Puissions nous offrir nos vies à la vie
Nos chiennes à la mort
Et dégringoler le plus doucement
Possible
Le ciel ne crie pas
L'eau ne crie pas
Alors je ne crie pas
Suivant leur exemple
Je pleure les eaux de mère
Il faut vingt ans à une stalactite pour prendre un centimètre
Combien de larmes ça fait ?
Cette nuit notre petite Zou-Wen nous a quittés.
Vivre était trop dur alors elle a lâché l'affaire.
*Elle ne t'en veut pas, mais ta maman est bien triste ce soir
Et tous les soirs
sans toi
* Ces mots-là je les ai déjà écrits, en 1985. Ils me sont revenus. J'aurais tant souhaité ne plus jamais les écrire.
Sur une étagère de la bibliothèque, une ou deux plumes.
Elle a quatre ans, elle en ramasse puis me les donne.
"Tiens"
Comme des fleurs, des pâquerettes de préférence.
Les pâquerettes je les mets dans des petits verres à liqueur
Et je les regarde respectueusement se dissoudre
Dans l'eau des jours.
Quelqu'un m'a dit "ce sont des choses sans importance,
Tu peux les jeter sans regret"
Oui je pourrais, c'est vrai.
Mais je ne le fais pas.
J'ai une collection d'instants, de sourires,
De choses sans importance.
Des petites morts,
des petites vies.
Pour Manouchka R.