lundi 26 octobre 2020

Comme si de rien n'était

 


Cette année plusieurs personnes de mon entourage sont morts, Carole d'abord, d'un cancer, Emilio ensuite d'une crise cardiaque, j'ai appris inopinément que Fabienne était décédée il y a plusieurs années déjà, sans que je sois au courant. Lorsque je pense à eux je sens comme un creux en moi. Quand je passe devant la maison d'Emilio, je pense à T qui y est seule à présent. Nous nous voyons moins, parfois nous ne nous voyons plus, et sans le savoir, sans le vouloir, c'est la dernière fois. Et tout autour, tout continue, comme si de rien n'était.








dimanche 25 octobre 2020

Ame précieuse

 




Rares sont les personnes que l'on connait vraiment, et rares sont les personnes qui nous connaissent vraiment.
Nous passons des heures dans nos journées à n'être aux yeux et à la conscience des autres, qu'une infime partie de nous-mêmes, non pas volontairement mais de fait, lorsque la fonction l'exige. Bien sûr il ne s'agit là que de transmission, comme si on ne donnait pas toutes les clés de la maison que nous habitons. En réalité nous sommes nous-mêmes entiers à chaque seconde. Nous habitons toutes les pièces de notre maison. Certains d'entre-nous ont aussi un jardin, effroyable parfois, le compost n'est en général pas notre endroit préféré.
Toutes les plantes qui s'y trouvent n'ont pas forcément été plantées par nous. Elles ont été choisies avec soin ou bien apportées par les oiseaux. On les a quelquefois transportées d'ailleurs avec certains parasites, et certaines ne se sont pas adaptées et sont mortes. Il y a aussi ce qui nous a été donné, comme ce pied de lilas de grand-mère ou cette anémone du Japon, ou encore les roses de Noël. Quelques-unes ont prospéré et se sont reproduites, il arrive même que nous en partagions les fleurs et les fruits en abondance.

De même comme dit Jean Dutourd :
Quand l'âme d'un artiste se coule entièrement dans son œuvre, celle-ci en devient la projection exacte.
Elle ne ressemble qu'à lui qui ne ressemble à personne. Les pensées (1990)











jeudi 22 octobre 2020

L'entends-tu ?






Je dors verticale

J'envoie un cliquetis

J'attends le signal

Rien ne vient de lui


Dans mon rêve

Il se lève

Oublie son masque

Et se glisse dans la bourrasque

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des bulles crèvent à la surface de ma conscience

j'ai dormi dans une main où je tenais toute entière





Photo : G Baratieu (merci)

















mardi 6 octobre 2020

L'exil Harmonium

 


Tout change
Et tout me dérange
Je nous reconnais plus
Les murs tremblent
Y'a plus rien qui nous ressemble
Même le nom de ma rue
Dis-moi à quel âge
Je vais pouvoir voler
D'un centième étage
Où est-ce qu'il est le nord
Quand tu regardes dehors
Le monde s'endort
Je vois des lignes au creux de nos mains
Qui ne servent plus à rien
Des signes au fond de la peau
Qui en disent un peu trop
Puis, je vois la fin encore plus sûre
Par un coup de poing dans le mur
Je vais juste être bien
Quand je vais me retrouver tout nu
Au creux de mon lit, caché ben loin
Au fond de mon appartement
J'ai moins peur du ciment
C'est bon d'entendre marcher
Quelqu'un sur l'autre plancher
Tout penche
Y'a trop de monde sur la même branche
C'est contre la nature
Ma rue est sombre
L'amour se tient à l'ombre
Pour cacher sa blessure
Dis-moi vers quel abri
Je vais pouvoir voler
Comme tu voles mon pays
Une cage
Cache ton visage
Le monde m'enrage
Des lignes froides comme du béton
Se croisent à l'horizon
Des signes enfouis sous le gel
L'amour est parallèle
Puis je vois l'exil encore moins sûr
Je prends mon élan, puis je rentre dans le mur
Tout tient comme sur un fil
Les dos tournés pour fin de journée
La peur tombe sur ma ville
Comme dans un vieil asile
Tout le monde s'entend craquer
Les murs vont débarquer
Ça déborde
Tout le monde tire sa corde
C'est fragile
Démarcher sur un fil
C'est tragique
Finir dans un cirque
C'est mortel
Suivre un carrousel
Bien accrochés à nos parapluies
Y'en a qui marchent, d'autre qui s'ennuient
C'est juste en tombant
Qu'on partage le même cri
C'est comme si tout le monde payait sa place
Pour voir chacun d'en haut perdre la face
Quand le show est fini
Je tombe toujours en bas du lit
C'est blessant
Vivre en noir et blanc
Quand t'as le cœur
Rempli de couleurs
C'est étrange
L'orchestre se mélange
C'est une parade
Tout le monde est malade
Ben cachés sous nos parapluies
Y'en a qui foncent, d'autre qui s'enfuient
Tomber de si haut
On fait tous le même bruit
C'est comme marcher au-dessus d'un abîme
En bas, la foule demeure anonyme
Me reconnaissez-vous?
C'est moi, le crisse de fou
Qui marche au-dessus de la ville

Parolier : Serge Fiori













vendredi 2 octobre 2020

Première fois

 Il arrivait ce matin.

Pour l'attendre je me suis balancée dans le vieux rocking-chair, longtemps.

Puis j'ai pris un bon bain chaud.

Je suis allée réveiller François.

Il a pris ma petite valise.

Nous avons pris l'ascenseur, marché jusqu'à la voiture.

Je me suis installée, nous avons roulé.

Sur le parking il ne devait pas y avoir encore grand monde.

Il était quoi ? Cinq heures ? Six heures du matin.

Ascenseur encore. Ouille ça commence à tirer fort dedans.

On n'est pas seuls, enfin façon de parler: une sage-femme est là.

Je ne sais pas encore qu'elle ne mérite pas son nom.

Elle maugrée: elle n'a pas eu le temps de prendre son café.

Elle me laisse m'installer dans la salle d'accouchement.

Il y a une fenêtre devant moi, avec vue, sur la forêt.

Je pense au soleil. Il se lève. Je ferme les yeux.

Le soleil est à l'intérieur de moi.

Je sens sa chaleur.

Je viens d'arriver et il faut déjà pousser.

Lucas est au rendez-vous. 

L'air traverse ses poumons et les ouvre comme un parachute.

Nous nous regardons pour la première fois.

Il pleure en cherchant à téter.


Je viens de vivre la plus grande aventure de ma vie.


La femme me prend mon bébé.

Il y a une autre femme, elle est fille de salle.

Fille de sale.

Par terre à côté d'elle elle a posé un balai et une serpillère dans un seau.

L'autre lui confie notre enfant, puis s'en va.

François reste un peu avec moi car il ne veut pas me laisser seule.


Lucas ne nous est pas rendu.

Nous ne savons pas où il est, ni ce qu'on lui fait.

Le temps est long.

François va chercher la femme, elle lui dit : "on se demandait si vous aviez envie de le voir"

J'ai envie de crier, mais ça y est François revient avec notre fils, notre premier né.


JOIE


Premier jour

Deuxième jour

Troisième jour

Quatrième jour, samedi, Lucas pleure beaucoup, mais on est samedi et "il ne faut pas déranger le pédiatre pour aussi peu".

Cinquième jour, dimanche, Lucas pleure anormalement beaucoup, mais on est dimanche et "il ne faut pas déranger le pédiatre pour aussi peu". On me retire mon enfant "il sent votre lait et ça le perturbe"

Sixième jour. Le pédiatre finit par ausculter Lucas. "Il a une jaunisse. Il faut le mettre sous une lampe et tout rentrera dans l'ordre. Ne vous inquiétez pas "

Septième jour. Nous sommes toujours bloqués là. Lucas a toujours la jaunisse.

Nuit.

"Madame, votre enfant ne va pas bien"

" il a faim c'est l'heure de la tétée?"

"Non, il ne va pas bien du tout"

je veux le voir

François est déjà là, effondré

Notre bébé est là dans une petite salle sombre avec d'autres bébés dans des couveuses

je le cherche

il dort

je crois qu'il dort

mais je sais que non

on me l'a dit

alors je le vois sans le reconnaître


Je tiens un tout petit mort dans mes bras

j'ai vingt deux ans

C'est la première fois.






On nous a demandé si nous étions d'accord pour participer à un programme de recherche sur la mort subite du nourrisson. Nous avons accepté l'autopsie. Celle-ci révèlera un nombre de bactéries record dans ses poumons et dans les méninges ainsi que dans son sang. Lorsque je suis revenue à la clinique pour réclamer les traces des soins effectués sur mon enfant durant son séjour, le médecin qui me suivait m'a donné un carnet de santé vide, et voyant que j'étais à nouveau enceinte m'a laissé entendre que le prochain bébé ne serait certainement pas viable, étant donné que, au vu du rapport d'autopsie le thymus de Lucas était anormalement gros. Sa remarque était non seulement cruelle mais infondée.

C'était faux. Le thymus grossit lorsqu'il est confronté à une infection. L'organisme de Lucas s'est battu. Mais les adversaires étaient trop coriaces et trop nombreux. Et il était si petit.

Il a suffi d'un doigt sale enfoncé dans sa bouche. Un doigt atrocement sale.

J'ai rencontré la femme médecin légiste à l'hôpital Saint Antoine à Paris, elle m'a tout expliqué. Qu'elle soit remerciée. C'est elle qui a tenu notre petit Lucas dans ses bras pour la dernière fois.

Il aurait aujourd'hui 34 ans.


Puis, trois autres enfants m'ont réparée. Ils sont mes soleils. Ma JOIE.









Lucas Cranac 1525