vendredi 30 novembre 2018

CARVER Raymond








Dormir



Il a dormi sur les mains.
Sur un rocher.
Sur ses pieds.
Sur les pieds de quelqu'un d'autre.
Il a dormi dans des bus, des trains, des avions.
Dormi pendant le service.
Dormi au bord de la route.
Dormi sur un sac de pommes.
Il a dormi dans une sanisette.
Dans un grenier à foin.
Au Super Dome.
Dormi dans une Jaguar et sur la plate-forme d'un pick-up.
Dormi au théâtre.
En prison.
Sur des bateaux.
Il a dormi dans des baraquements et, une fois, dans un château.
Dormi sous la pluie.
Sous un soleil ardent il a dormi.
A cheval.
Il a dormi sur des chaises, dans des églises, des hôtels de luxe.
Il a dormi sous des toits étrangers toute sa vie.
Maintenant il dort sous la terre.
Il n'en finit pas de dormir.
Comme un vieux roi.






Raymond CARVER







vendredi 23 novembre 2018

Petite culotte









Tout au dessus il y a ce qui se présente juste devant les yeux
Comme un genre d' élastique avec le temps qui serre un peu
Juste dessous la petite musique familière du manque
Parfois dans cette zone le juke-box fatigué rejoue
Un vieil air connu par le cœur et aimé mot à mot
Plus profondément les remous des tripes 
qui remontent et redescendent
donnent le mal de mère
Et tout au fond
la fillette
dort et rêve







(ça fait comme une petite culotte de mots
qu'on lave chaque jour)












dimanche 18 novembre 2018

Coupe









J'étais heureuse et je le savais
J'étais heureuse
et je n'osais pas
parler

Je     n'osais    pas    bouger

Tant

ses
 lèvres

 étaient

proches




Je ne voulais pas


 que



 ça





 s'arrête


















Gibran, Khalil








"Quant à ce que vous m'écrivez : "Que vous êtes heureux, vous qui trouvez des satisfactions dans votre art" - j'y ai réfléchi longuement. Non, May, je ne suis ni heureux, ni satisfait. Il y a en moi quelque chose qui ne peut jamais être satisfait, mais qui ne ressemble aucunement à de la convoitise, quelque chose qui ne peut jamais connaître le bonheur mais ne ressemble en rien à de la tristesse. Au fond de moi, il y a un frémissement continu et une souffrance incessante, et je ne désire changer ni l'un ni l'autre - dans une pareille situation, un homme ne peut connaître le bonheur ni reconnaître la satisfaction, mais il ne se plaint pas parce qu'il y a un certain réconfort et une certaine transcendance à se plaindre.
Etes-vous heureuse et satisfaite de vos grands talents ? Dites-moi, May, êtes-vous heureuse et satisfaite ? Je puis presque vous entendre murmurer : "Non, je ne suis ni heureuse ni satisfaite". Le contentement est satisfaction et la satisfaction est limitée - alors que vous n'êtes pas limitée. Quant au bonheur, il vient quand on est ivre du vin de la vie ; mais celui dont la coupe a sept mille lieues de profondeur et autant de largeur ne pourra jamais connaître le bonheur tant que la vie ne sera pas déversée tout entière dans sa coupe. Votre coupe, May, ne fait-elle pas mille et une lieues de profondeur ?"
Khalil Gibran (lettres d'amour)







vendredi 16 novembre 2018

Anne Paule







"Mes amis ? je ne leur demande que le désespoir que je place en eux"

Tu m'avais donné un jour cette parole de Desnos, je ne l'avais pas comprise à l'époque. Aujourd'hui je comprends, je crois.
Si on ne peut espérer de la compréhension/ compassion de la part de ses amis ? De qui alors ?








Jellyfish Kurosawa







jeudi 15 novembre 2018

Rêve 15 novembre 2018



Je l'avais rencontrée dans la rue. Elle parlait ma langue dans ce pays étranger, si propre, si ordonné.
Je l'avais invitée à partager mon repas, et elle avait accepté, posant près d'elle un petit sac à dos contenant visiblement toutes ses maigres possessions. La conversation avait été gaie et riche. A la fin elle s'est levée et a voulu prendre congé. Un peu désemparée, je l'ai suivie et je l'appelais : "Frisson, Frisson...reviens" ...



Hier je me suis réveillée en appelant ma mère ... décidément, dans mes rêves, en ce moment, tout le monde me quitte ;)



mardi 13 novembre 2018

souffle au cœur







On n'a aucune envie de guérir d'un chagrin
 le chagrin est tout ce qu'il y a de fidèle

 Jean-Philippe Domecq
En hommage à Anne Dufourmantelle














jeudi 8 novembre 2018

A proprement parler



Il y n'a pas dans le concept d'invention d'obligation de résultat. On invente un truc. Ça fonctionne ou pas. Si ça ne fonctionne pas et qu'on n'est pas trop découragé, ou un peu inconscient, on recommence. Sinon, on se laisse tomber.












mardi 6 novembre 2018

un petit geste doux






d'un mouvement anodin
une grande douleur peut se réveiller
d'un petit geste doux
elle peut se rendormir





Wanjin Gim
















lundi 5 novembre 2018

Note aux lecteurs




Bonjour à vous qui avez la bonté de me lire.

Vous l'avez compris, c'est ici comme un atelier de mise en formes de mes pensées presque au jour le jour...Du coup, souvent les textes sont assez bruts, et lorsque je les relis, ils subissent parfois certaines corrections, souvent de détail...supprimer une répétition par ci, aérer par là ...remanier l'enchaînement des lignes. Et je vous conseille d'attendre toujours quelques heures avant de les lire.

J'aime écrire en poussant les textes sur la droite, je n'aime pas trop imposer une ponctuation.
La ponctuation c'est votre souffle ou le mien, et je sais que quoi que je fasse, nous ne respirerions pas de la même façon. Et c'est bien.

Le silence sied à l'hiver, pourtant je regrette les échanges que nous avions autrefois d'un blog à l'autre.
Certains d'entre nous s'en sont allés vers d'autres sphères. D'autres sont venus s'amalgamer dans le silence de la lecture muette.

Chacun est bienvenu dans la présence invisible qui nous relie.

Je vous souhaite d'être heureux.


















samedi 3 novembre 2018

Poisson d'or





3 novembre 2018, journal

Assise les yeux au jardin je me saoule de musique et puis de silence, ce bon gros silence froid et lisse glisse en une douche sur l'agitation de l'esprit. Je regarde l'atelier vide qui est comme éteint, sans l'été, sans l'hiver. Je voudrais pouvoir marcher et écrire en même temps. Mais marcher est pour le moment difficile. Il faudra pourtant le rédiger ce livre pour lequel on me paye. Je vais donc me transformer en bocal pour ce poisson que je dois peindre. Ce sera un poisson sans eau, un poisson rouge, sans mémoire. Un poisson d'or.
Parfois l'or est glacé.











jeudi 1 novembre 2018

Rêve vertigineux







J'étais avec d'autres, peintres, ensemble regroupés comme lors de ces grandes célébrations du commerce de l'art dont le public semble friand. Nous levions la séance...chacun regagnait l'endroit où il devait aller dormir.
Je suis partie en vélo, avec une petite remorque attachée derrière.
La nuit était fraîche et agitée. Partout la rumeur des êtres humains en fond. J'ai voulu éviter le chahut de la foule. Je suis arrivée sur un promontoire. En bas, je distinguais la ville en train de s’éteindre dans la brume. Il n'y avait pas de parapet.
Pas de garde-corps, de balustrade, de protection ...rien.
En dessous, le vide, vertigineux.
Je reculai.
Trois fois je suis revenue à ce point.
Trois fois.
La deuxième fois accompagnée, puis la troisième fois seule.
la troisième fois j'ai été comme projetée tout au bord.
Ouf, moins une, me suis-je dit...la prochaine fois ...
Trois fois.
Pour finalement me réveiller.











Clore








on ne lui enlèvera rien
elle gardera son corps comme une forteresse
ses seins en sont les deux tours
son clitoris en est la clé
son vagin est un pont levis
vers la petite bouche qui t'aspire
tout au fond son utérus est la grotte secrète
où se fabriquait la vie
elle est vieille mais elle s’arc-boute encore et encore
comme pour éclore encore
elle cambre les reins
on ne lui enlèvera rien