"ce n'est pas de l'asservissement, c'est du souci de l'autre"
Alain Françon
MERCI
https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/tchekhov-le-reve-ou-la-vie-24-ivanov-ma-terre-me-regarde-comme-une-orpheline
Ivanov est un peu comme tous les personnages de Tchekhov. Ce sont des personnages qui n’ont pas de centre. On connait d’eux seulement des détails. Par exemple du passé d’Ivanov on sait qu’il a essayé des choses, qu’il a lutté contre des tabous, qu’il a travaillé. C’est d’ailleurs très beau lorsqu’il dit lors d’un monologue : « Ma terre me regarde comme une orpheline ». Cela dit d’une manière très pragmatique qu’il travaillait cette terre. On sait donc quelques éléments sur ces personnages mais ils n’ont pas de centre. Et finalement, toute la dramaturgie de Tchekhov n’est jamais centrée et c’est en ça que c’est génial : il est toujours à la périphérie. On va toujours de l’autre côté avec Tchekhov et je pense que c’est plus démocratique la périphérie… Alain Françon
Je crois qu’Ivanov avait une vision du monde, vraiment. Et cette vision du monde s’est cassée. Je trouve d’ailleurs très belle l’utilisation de la métaphore de ce paysan qui pour faire la malin se met deux sacs sur le dos et se « casse ». Françoise Morvan et André Markowicz ont choisi de traduire par le mot « casser » et c’est exactement ça : c’est cassé, il n’y a plus de vision du monde. Par exemple, la vision du monde de Borkine est présentée au deuxième acte lorsqu’il est dit « C’est l’âme de la société qui arrive ». Parce que Borkine a amené des feux d’artifices, qu’il est drôle etc. Et si l’âme de la société c’est Borkine, alors il est compréhensible qu’Ivanov ait perdu sa vision du monde. Ce qui est très émouvant chez Tchekhov, c’est qu’il y a toujours un personnage qui dit : « Peut-être que ce n’est pas pour nous, mais que nos enfants, nos petits-enfants, eux, comprendront ». C’est comme si Tchekhov savait qu’on pouvait avancer mais petits pas par petits pas, que ça prendra du temps. Alain Françon